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— Morte ? Olwen est morte ?

Le visiteur arpentait la mosaïque. Il s’arrêta au seuil de la galerie qui encadrait le jardin, ombragée par un treillage couvert de chèvrefeuille. Il tournait le dos à sa jeune cousine, perdu dans de sombres méditations.

Azilis était fascinée par la longue épée qui pendait de la clavicule jusqu’à l’arrière du genou. La poignée semblait d’or, avec une garde et un pommeau incrustés de grenats à la manière barbare. Le fourreau attirait l’œil par ses arabesques compliquées, différentes des spires gauloises.

Aneurin s’était délesté de son paquetage mais pas de cette précieuse arme de guerre qui jurait avec ses vêtements.

— Jamais, au long de mon voyage, je n’ai imaginé qu’Olwen ne serait pas là pour m’accueillir, murmura-t-il. Comme si vous étiez tous magiquement protégés par cette villa.

Les mots d’Aneurin exerçaient un pouvoir étrange. Azilis s’était maintes fois rappelé le visage de son cousin. Mais sa voix, elle l’avait oubliée. Ce timbre chaud et grave surgissait du lointain de son enfance. Les mots s’animaient peu à peu, entamaient une procession solennelle tandis que les yeux noirs du jeune homme brillaient d’un éclat profond.

Une harpe de voyage émergeait du sac posé à terre. Son cousin était barde.

— Ici, on se sent hors de tout, ajouta Aneurin en contemplant les stucs et les peintures murales. Ton père, comment va-t-il ?

— Il est resté prostré après la mort de maman. Et puis son état s’est amélioré. Enfin, nous le pensions. Un matin il est parti chasser avec mes frères. Les chiens ont rembuché un sanglier énorme. Naturellement Marcus et Caius ont cédé à papa l’honneur de le mettre à mort. Mais lui s’est précipité sur la bête. Elle l’a fait voler comme un fétu de paille. Il voulait se tuer et il serait mort sans le javelot de Caius. Depuis, il ne peut plus marcher, et… il passe son temps à boire.

— Où sont tes frères ?

Azilis eut conscience qu’elle répondait comme une enfant à un adulte, qu’elle répondait comme il fallait, récitant presque. Sa propre voix l’agaçait.

— Marcus habite ici l’été avec sa femme Sabina, qui va bientôt accoucher. Ils ont déjà une petite fille.

— Et Caius ? Est-il là ?

Une note d’espoir vibrait dans la question. Elle secoua la tête.

— Caius est parti en Bretagne se battre aux côtés du Haut Roi.

— Quoi ? s’exclama Aneurin. Sans moi ? Sans m’attendre ? Mais nous avions décidé…

Azilis avait prévu cette réaction. Une amitié exclusive liait Caius et Aneurin qui avaient formé le projet de s’enrôler un jour dans l’armée d’Ambrosius Aurelianus, le Haut Roi des Bretons[10]. La petite fille grandit d’un coup et répliqua sèchement :

— Caius t’a attendu deux ans. Tu n’as pas donné signe de vie.

Il détourna le regard.

— C’est vrai, Azilis. Pourtant je pensais à vous, je t’assure.

— Des hommes d’Ambrosius ont campé ici, il y a trois étés. Ils ramenaient en Bretagne des chevaux qu’ils avaient achetés en Gaule pour leur cavalerie. Caius les a suivis. Sa dernière lettre nous annonçait que son armée stationnait dans le nord-est, à Eburacum[11]. Ils ont repris la cité aux Saxons. C’est ta région d’origine, non ?

Aneurin la fixait d’un air hagard.

— Si, murmura-t-il. Dieu fasse que je l’y retrouve… Et ton jumeau ? Il est avec Caius ?

Elle ne put réprimer un rire amer.

— Ninian ? À la guerre ? Oh, non ! Il n’est pas taillé pour ça ! Il s’est retiré dans un monastère.

Le silence retomba.

Aneurin avait connu une enfant espiègle, il découvrait une étrange jeune fille. Belle, malgré ses braies, sa tunique d’homme froissée et la boue qui maculait une de ses joues. Ses grands yeux verts vous regardaient sans ciller, avec défi.

« Elle est vêtue comme une paysanne, se dit-il, pas comme l’unique fille du richissime Appius Sennius. » Il lui prit la main avec douceur.

— Tu dois te sentir seule, petite cousine. Pourquoi es-tu habillée ainsi ?

Elle n’eut pas à répondre. Appius Sennius apparut à cet instant, allongé sur une litière portée par deux garçons. Aneurin se souvenait du chasseur infatigable, de l’homme à l’autorité de fer. Il se trouvait devant un infirme aux cheveux blancs et au visage boursouflé par l’alcool.

— Père, Aneurin est revenu. Il arrive de Constantinople.

Appius leva les yeux vers le visiteur.

— Aneurin ! Mon cher neveu ! Cela fait si longtemps. Tu as changé. Pas autant que moi, n’est-ce pas ? As-tu vraiment changé, d’ailleurs, ou est-ce cette barbe, cet accoutrement ? Peu importe. C’est une immense joie de t’accueillir à nouveau.

— Mon cœur se réjouit de te revoir, Appius. Que la grâce de Dieu soit sur ta maison.

Aneurin s’inclina avec une telle élégance qu’ils oublièrent ses haillons et sa saleté.

— Dieu n’a guère exaucé mes prières. Azilis t’a appris la mort de mon épouse, je le vois à ton visage. Le bonheur a fui cette villa. Ma femme parlait beaucoup de toi. Elle t’aimait comme un fils. Elle aurait voulu te revoir… avant la fin.

Le voyageur serra les mâchoires.

— Aneurin a besoin de repos, papa, intervint Azilis. Il doit rêver de nos thermes. Toi, Galla, prépare-lui sa chambre, en face du pommier, et des vêtements propres. Nous nous retrouverons pour le dîner. Tu as mille choses à nous raconter, cousin.

— Oui, tu nous feras voyager à tes côtés, approuva le maître.

— Je vous promets de vous transporter à Constantinople ! Non, pas cela, je le porterai moi-même.

Il désignait sa harpe, alors qu’une servante prenait son bagage. Il se retourna et un rayon de soleil incendia la poignée de l’épée. Quand il était de face, elle paraissait plantée entre son cou et son épaule.

L'épée de la liberté
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